Rosa Alice Branco,
(Portugal)





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Biographie


Rosa Alice Branco, docteur en Philosophie Contemporaine, enseigne la Psychologie de la Perception à l’École Supérieure d’Arts et Design de Porto, elle est membre de l’European Academy of Design et de l’Institut de Recherche en Design, Culture et Média. Parmi ses quatre essais philosophiques, le dernier a paru en 2009 au Brésil et porte sur la perception dans la nature et les arts : La condition secrète du visible. Elle a publié plusieurs recueils de poésie qui furent, en 2002, réunis sous le titre, Soletrar o Dia – Obra Poética (Épeler le Jour – Œuvre Poétique). Suivirent en 2005 Amor Quanto Baste (Amour en Quantité Suffisante) et en 2009 O mundo não acaba no frio dos teus ossos e O gado do Senhor qui a reçu le Prix de Poésie Espiral Maior en Espagne. Ses textes ont été publiés au Brésil, en Tunisie, en Suisse, en Espagne, au Venezuela et en Corse. Au Québec, aux éditions des Forges, est paru Épeler le jour et au Luxembourg Le monde ne finit pas dans le froid de tes os (se dit-elle) (Editions phi).


Poème



SEULS LES CHATS

Aujourd’hui les chats n’ont pas mangé.
ils se sont peu à peu rassemblés sur le toit
et la pluie ne leur a même pas fait sortir la langue.
L’eau n’a pas dégorgé leur voix, les chats n’ont pas miaulé.
Ces pas dont les chats seuls ont le secret
nous ont éloignés des mots incisés sur du marbre
ou sur le granit couché. Du plastic fleuri
des fleurs que l’absence perpétue.
Aujourd’hui les tombes sont silencieuses
et les chats avec leurs griffes déployées contre les tuiles,
avec le regard dont seuls les chats regardent,
ne savent pas encore s’ils ont perdu foi en la vie
ou plutôt en la mort. Ils sentent un noeud
innommé dans la gorge comme nous tous.
Au sommet du toit ils disent non au ciel.
Ils veulent l’affirmer de près.

Trad. Patrick Quillier

Portrait élimé dans les entrailles

Palmiers penchés. Au loin le hameau.
C’est dans l’eau que je le vois, que je sens la ville
se réveiller. De plus une femme qui regarde le fleuve.
J’ai les mains déliées, les pieds en chemin. Les bords s’élargissent
quand je m’approche, mais de l’autre côté
les femmes ne reflètent pas leur visage ni leur absence.
Elles sont la matière du verbe faire et marchent au ras du sol,
dans la courbe de la nuit vers leur mari. Leurs rêves neufs
se sont usés. Chiffon décoloré resté au soleil.
En elles, la ville ne se réveille pas, les bateaux ne rentrent pas
le soir. Elles viennent sur le bord des chemins,
avec une tristesse affable, une colère aveugle et parfois
un sourire qui secoue les épaules
parce que même la tristesse a un coût, un espoir
dans la semelle de la chaussure. Je les vois chaque jour
et c’est comme si la vie me liait les pieds,
m’annelait les doigts. Comme moi, d’autres femmes
regardant le fleuve, débrodant le chiffon, décuisant la soupe.
On aime l’homme qui tourne au coin de la rue
avec nous et sait que nous ne pouvons pas feindre
que la blessure soit refermée. Les maisons s’éclairent.
Dans l’eau, je vois leur lumière qui descend le fleuve.
Les femmes passent en silence vers les maisons,
elles traversent la peau – laissent un portrait élimé
dans leurs entrailles. Je regarde le fleuve
et ne sais feindre que je feins tant de mer.

Papa, je veux un aquarium de poissons rouges

Approche-toi encore. Je sais qu’on dirait
qu’il n’y a pas de place pour le moindre grain entre nous
et la chaleur que tu me donnes me guérit
de bien des maux. Mais ta peau
est aussi un bouclier impénétrable
et tes oreilles sont tournées
vers l’intérieur, mais tu n’entends pas
les messages qui te traversent,
tu n’écoutes aucun d’entre nous.
Je ne sais pourquoi nous voilà ici collés
l’un contre l’autre. C’est vrai
qu’il fait froid, un froid qui se répète
chaque jour comme si nous étions des poissons
d’aquarium et qu’on ait oublié
de changer l’eau. Nous tournons sans cesse
dans le verre arrondi, nous nous faisons de plus en plus myopes
et salissons toujours plus l’eau. Nous sommes groupés
et groupés nous faisons le tour du cirque.
Il y en a qui nous applaudissent,
mais je crois qu’ils ont aussi peur que nous.